Cette note fait référence à l'édition de 1987 pour la traduction francaise (en Italien original, 1958 et 1976), ISBN : 978-2-266-02250-7
"Beaucoup d'entre nous, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que "l'étranger, c'est l'ennemi". Le plus souvent, cette conviction sommeille dans les esprits, comme une infection latente; elle ne se manifeste que par des actes isolés [...]", P. Levi, Si c'est un homme, p7
"La nuit vint, et avec elle cette évidence : jamais être humain n'eût dû assister, ni survivre, à la vision de ce que fut cette nuit-là. Tous en eurent conscience : aucun des gardiens, ni italiens ni allemands, n'eut le courage de venir voir à quoi s'occupent les hommes quand ils savent qu'ils vont mourir. Chacun prit congé de la vie à sa façon. certains prièrent, d'autres burent outre mesure, d'autres encore s'abandonnère à l'ivresse d'un ultime, inexprimable moment de passion. Mais les mères, elles, mirent tous leurs soins à préparer la nourriture pour le voyage; elles lavèrent les petits, firent les bagages, et à l'aube les barbelés étaient couverts de linge d'enfant qui séchait au vent; et elles n'oublièrent ni les langes, ni les jouets, ni les coussins, ni les mille petites choses qu'elles connaissent si bien et dont les enfants ont toujours besoin. N'en feriez-vous pas autant vous aussi ? Si on devait vous tuer demain avec votre enfant, refuseriez-vous de lui donner à manger aujourd'hui ?", P. Levi, Si c'est un homme, p15-16
"[...] nous sentîmes alors descendre dans notre âme, nouvelle pour nous, l'antique douleur du peuple qui n'a pas de patrie, la douleur sans espoir de l'exode que chaque siècle renouvelle.", P. Levi, Si c'est un homme, p16
"Les divers sentiments qui nous agitaient, l'acceptation consciente, la révolte sans issue, l'abandon à Dieu, la peur, le désespoir, se fondaient maintenant, après une nuit d'insomnie, en une irrépressible folie collective. Il n'était plus temps ni de réfléchir ni de décider, et toute velléité de raisonnement sombrait dans un tumulte d'émotions désordonnées d'où émergeaient par éclairs, douloureux comme des coups d'épée, si proches encore dans le temps et dans l'espace, les souvenirs heureus de nos foyer. Bien des mots furent alors prononcés, bien des gestes accomplis, dont il vaut mieux taire le souvenir.", P. Levi, Si c'est un homme, p17
"C'est là que nous attendaient le train et l'escorte qui devait nous accompagner durant le voyage. C'est là que nous reçûmes les premiers coups : et la chose fut si inattendue, si insensée, que nous n'éprouvâmes nulle douleur ni dans le corps ni dans l'âme, mais seulement une profonde stupeur : comment pouvait-on frapper un homme sans colère ?", P. Levi, Si c'est un homme, p17
"C'était bien cela, très exactement : des wagons de marchandies, fermés de l'extérier, et dedans, entassés sans pitié comme un chargement en gros, hommes, femmes et enfants, en route pour le néant, la chute, le fond. Mais cette fois c'est nous qui sommes dedans.", P. Levi, Si c'est un homme, p18
"Nous découvrons tous tôt ou tard dans la vie que le bonheur parfait n'existe pas, mais bien peu sont ceux qui s'arrêtent à cette considération absolue. Les raisons qui empêchent la réalisation de ces deux états limites sont du même ordre : elles tiennent à la nature même de l'homme, qui répugne à tout infini.", P. Levi, Si c'est un homme, p18
"Ce sont justement les privations, les coups, le froid, la soif qui nous ont empêchés de sombrer dans le désespoir sans fond, pendant et après le voyage. Il n'y avait là de notre part ni volonté de vivre ni résignation inconsciente : rares sont les hommes de cette trempe, et nous n'étions que des spécimens d'humanité bien ordinaires. Les portes s'étaient aussitôt refermées sur nous, mais le train ne s'ébranla que le soir. Nous avions appris notre destination avec soulagement : Auschwitz, un nom qui devait bien exister quelque part sur la terre.", P. Levi, Si c'est un homme, p19
"Rares sont les hommes capables d'aller dignement à la mort, et ce ne sont pas toujours ceux auxquels on s'attendrait. Bien peu savent se taire et respecter le silence d'autrui." , P. Levi, Si c'est un homme, p20
"[...] nous ne savions pas grand-chose l'un de l'autre. Nous nous dîmes alors, en cette heure décisive, des choses qui ne se disent pas entre vivants. Nous nous dîmes adieu, et ce fut bref : chacun prit congé de la vie en prenant congé de l'autre. Nous n'avions plus peur.", P. Levi, Si c'est un homme, p21
"[...] l'enfer, ce doit être cela : une grande salle vide, et nous qui n'en pouvons plus d'être debout, et il y a un robinet qui goutte avec de l'eau qu'on ne peut pas boire, et nous qui attendons quelque chose qui ne peut être que terrible, et il ne se passe rien, il continue à ne rien se passer. Comment penser ? On ne peut plus penser, c'est comme si on était déjà mort. Quelques-uns s'assoient par terre. Le temps passe goutte à goutte." , P. Levi, Si c'est un homme, p27
"Alors, pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte : la démolition d'un homme.", P. Levi, Si c'est un homme, p34
"Ils nous enlèveront jusqu'à notre nom : et si nous voulons le conserver, nous devrons trouver en nous la force nécessaire pour que derrière ce nom, quelque chose de nous, de ce que nous étions, subsiste." P. Levi, Si c'est un homme, p34
"Si nous étions sages, nous nous rendrions à l'évidence : notre destin est parfaitement impénétrable, toute conjecture est arbitraire et littéralement dépourvue de fondement. Mais les hommes sont rarement sages quand il y a va de leur vie; ils préfèrent en tout cas les positions extrêmes ; ainsi chacun de nous, selon son caractère, s'est aussitôt pénétré de l'idée que tout était perdu, que la vie ici était impossible, que notre fin était certaine et proche; ou au contraire que, malgré la dure vie qui nous attendait, nous serions probablement sauvés d'ici peu, et qu'avec de la foi et du courage, nous reverrions nos maisons et tous ceux que nous aimons. Les deux partis, les pessimistes et les optimistes, ne sont pas pour autant bien distincts : non que les sans-opinion soient nombreux, mais la plupart d'entre nous passent d'un extrême à l'autre sans rime ni raison, selon l'interlocuteur et le moment.", P. Levi, Si c'est un homme, p50
"Mais je n'ai pas sommeil, ou plutôt mon besoin de sommeil est momentanément neutralisé par un état de tension et d'anxiété dont je ne suis pas encore parvenu à me libérer, et qui me pousse à parler et parler sans pouvoir m'arrêter.", P. Levi, Si c'est un homme, p52
"Nous sommes des esclaves, certes, privés de tout droit, en butte à toutes les humiliations, voués à une mort presque certaine, mais il nous reste encore une ressource et nous devons la défendre avec acharnement parce que c'est la dernière : refuser notre consentement.", P. Levi, Si c'est un homme, p57
"Sa voix, son regard donnent l'impression d'un grand vide intérieur, comme s'il n'était plus qu'une simple enveloppe [...]", P.L evi, Si c'est un homme, p60
"Et comme elle ne croierait pas aux choses que je lui dirais, je lui ferais voir le numéro sur mon bras, et alors elle croirait...", P. Levi, Si c'est un homme, p62
"Malheur à celui qui rêve : le réveil est la pire des souffrances.", P. Levi, Si c'est un homme, p62
"[...] il est dansl 'ordre des choses que les privilégiés oppriment les non-privilégiés puisque c'est sur cette loi humaine que repose la structure sociale du camp.", P. Levi, Si c'est un homme, p62-63
"Cela fait de lui un des rares détenus à avoir conservé cette dignité et cette assurance qui naissent de l'exercice d'un métier dans lequel on se sent compétent." P. Levi, Si c'est un homme, p68
"Nous savons d'où nous venons : les souvenirs du monde extérieur peuplent notre sommeil et notre veille, nous nous apercevons avec strupeur que nous n'avons rien oublié, que chaque souvenir évoqué surgit devant nous avec une douloureuse netteté. Mais nous ne savons pas où nous allons. Peut-être pourrons-nous survivre aux maladies et échapper aux sélections, peut-être même résister au travail et à la faim qui nous consument : et puis ? Ici, momentanément à l'abri des avanies et des coups il nous est possible de rentrer en nous-mêmes et de méditer, et alors tout nous dit que nous ne reviendrons pas. Nous avons voyagé jusqu'ici dans les wagons plombés, nous avons vu nos femmes et nos enfants partir pour le néant; et nous, devenus esclaves, nous avons fait cent fois le parcours monotone de la bête au travail, morts à nous-mêmes avant de mourir à la vie, anonymement. Nous ne reviendrons pas. Personne ne sortira d'ici, qui pourrait porter au monde, avec le signe imprimé dans sa chair, la sinistre nouvelle de ce que l'homme, à Auschwitz, a pu faire d'un autre homme." P. Levi, Si c'est un homme, p82
"La faculté qu'a l'homme de se creuser un trou, de sécréter une coquille, de dresser autour de soi une fragile barrière de défense, même dans des circonstances apparemment désespérées, est un phénomène stupéfiant qui demanderait à être étudié de près. Il s'agit là d'un précieux travail d'adaptation, en partie passif et inconscient, en partie actif [...]" P. Levi, Si c'est un homme, p84
"Elle (la locomotive) souffle, elle se rapproche encore, elle ne cesse de se rapprocher, elle est constamment sur le point de me passer sur le corps, mais elle n'arrive jamais. Mon rêve est léger, léger comme une voile; si je voulais, je pourrais le déchirer. Je vais le faire, je vais le déchirer, comme ça je pourrai m'arracher à ces rails. Voilà, ca y est, et maintenant je suis réveillé : non, pas vraiment, seulement un peu plus réveillé, j'ai fait un petit pas de plus sur le chemin qui mène de l'inconscience à la conscience.", P. Levi, Si c'est un homme, p88-89
"Alors une désolation totale m'envahit, comme certains désespoirs enfouis dans les souvenirs de la petite enfance : une douleur à l'état pur, que ne tempèrent ni le sentiment de la réalité ni l'intrusion de circonstances extérieures, la douleur des enfants qui pleurent [...]", P. Levi, Si c'est un homme, p90
"[...] nous sommes serrés les uns contre les autres, gris et interchangeables, petits comme des fourmis et grands jusqu'à toucher les étoiles, innombrables, couvrant la plaine jusqu'à l'horizon; tantôt confondus en une même substance, un amalgame angoissant dans lequel nous nous sentons englués, étouffés; tantôt en marche pour une ronde sans commencement ni fin, éblouis de vertiges, chavirés de nausées [...]", P. Levi, Si c'est un homme, p93
"Un jour commence, pareil aux autres jours, si long qu'on ne peut raisonnablement en concevoir la fin, tant il y a de froid, de faim et de fatigue qui nous en séparent. aussi vaut-il mieux concentrer notre attention et notre désir sur le morceau de pain gris qui, en dépit de sa petitesse, sera immanquablement à nous d'ici une heure, et constituera, pendant les cinq minutes qu'il nous faudra pour le dévorer, tout ce que la loi du camp nous autorise à posséder." P. Levi, Si c'est un homme, p95
"Il a trente ans, mais comme à chacun de nous, vous lui en donneriez aussi bien dix-sept que cinquante." P. Levi, Si c'est un homme, p98
"[...] des centaines de miliers d'histoires toutes différentes et toutes pleines d'une étonnante et tragique nécessité.", P. Levi, Si c'est un homme, p98
"Je me mords profondément les lèves : nous savons tous, ici, qu'une petite douleur provoquée volontairement réussit à stimuler nos dernières réserves d'énergie." P. Levi, Si c'est un homme, p101
"La conviction quel a vie a un but est profondément ancrée dans chaque fibre de l'homme, elle tient à la nature humaine. Les hommes libres donnent à ce but bien des noms différents, et s'interrochent inlassablement sur sa définition : mais pour nous la question est plus simple. Ici et maintenant, notre but, c'est d'arriver au printemps. Pour le moment, nous n'avons pas d'autre souci. Au-delà de cet objectif, point d'autre objectif pour le moment." P. Levi, Si c'est un homme, p107
"Car la nautre humaine est ainsi faite, que les peines et les souffrances éprouvées simultanément ne s'additionnent pas totalement dans notre sensibilité, mais se dissimulent les unes derrière les autres par ordre de grandeur décroissante selon les lois bien connues de la perspective. Mécanisme providentiel qui rend possible notre vie au camp. Voilà pourquoi on entend dire si souvent dans la vie courante que l'homme est perpétuellement insatisfait : en réalité, bien plus que l'incapacité de l'homme à atteindre à la sérénité absolue, cette opinion révèle combien nous connaissons mal la nature complexe de l'état de malheur, et combien nous nous trompons en donnant à des causes multiples et hiérarchiquement subordonnées le nom unique de la cause principale; jusqu'au moment où, celle-ci venant à disparaïtre, nous découvrons avec une douloureuse surprise que derrière elle il y a une autre, et même toute une série d'autres." P. Levi, Si c'est un homme, p112
"Pendant quelques heures, nous pouvons être malheureux à la manière des hommes libres." P. Levi, Si c'est un homme, p117
"[...] nous avons l'intime conviction que la réponse est oui. Nous sommes persuadés en effet qu'aucune expérience humaine n'est dénuée de sens ni indigne d'analyse [...]" P. Levi, Si c'est un homme, p133
"[...] sous la pression harcelante des besoins et des souffrances physiques, bien des habitudes et bien des instincts sociaux disparaissent." P. Levi, Si c'est un homme, p134
"[...] ici, la lutte pour la vie est implacable car chacun est désespérément et férocement seul." P. Levi, Si c'est un homme, p135
"[...] celui qui se fait craindre est du même coup un candidat à la survie." P. Levi, Si c'est un homme, p136
"Ce sont eux, les Muselmänner, les damnés, le nerf du camp; eux, la masse anonyme, continuellement renouvelée et toujours identique, des non-hommes en qui l'étincelle divine s'est éteinte, et qui marchent et peinent en silence, trop vides déjà pour souffrir vraiment. On hésite à les appeler des vivants : on hésite à appeler mort une mort qu'ils ne craignent pas parce qu'ils sont trop épuisés pour la comprendre." P. Levi, Si c'est un homme, p138-139
"Il arrivera en outre que, ne pouvant assouvir contre les oppresseurs la haine qu'il a accumulée, il s'en libérera de façon irrationnelle sur les opprimés, et ne s'estimera satisfait que lorsqu'il aura fait payer à ses subordonnés l'affront infligé par ses supérieurs." P. Levi, Si c'est homme, p140
"Il faut remonter le courant; livrer bataille tous les jours et à toute heure contre la fatigue, la faim, le froid, et l'apathie qui en découle; résister aux ennemis, être sans pitié pour les rivaux; aiguiser son intelligence, affermir sa patience, tendre sa volonté. Ou même abandonner toute dignité, étouffer toute lueur de conscience, se jeter dans la mêlée comme une brute contre d'autre brutes, s'abandonner aux forces souterraines insoupçonnées qui soutiennent les générations et les individus dans l'adversité. Les moyens que nous avons sur imaginer et mettre en oeuvre pour survivre sont aussi nombreux qu'il y a de caractères humains." P. Levi, Si c'est un homme, p142