NOS AMIS, NOTRE FAMILLE ET LES AUTRES…….
Les amis :
J’ai décortiqué à ma façon ce mot depuis la mort de Julien : « a » comme amour et « mi » comme moitié, partage…….
Nous avons subi la solitude dans les moments où nous aurions eu besoin d’être entourés. Nous étions évités par un grand nombre de personnes de notre entourage et de notre voisinage mis à part deux dont le soutien pour l’une, se caractérisait par une présence quasi journalière ; elle prenait de son temps pour m’écouter et essayait de me consoler ; et pour l’autre, n’osant me rencontrer physiquement, à sa manière et par des messages sur mon portable, elle essayait d’éclaircir mes jours sombres.
Je fais la relation aujourd’hui avec le fait qu’elles ont subi toutes les deux des chocs émotionnels très importants qui les a fait agir d’instinct à notre égard car nous les avions rejointes dans leurs souffrances : l’une a perdu un fils de sept mois d’une maladie orpheline et la seconde a vu sa famille se faire massacrer sous le régime de Pol Pot.
Deux couples d’amis ont jalonné notre vie, hormis les relations de camaraderie que nous entretenons avec un certain nombre de personnes.
Un dont l’amitié est de plusieurs dizaines d’années, s’avère indestructible. Ce couple a toujours été là dans les périodes noires de ma vie et continue de le faire. Nous nous sommes un peu éloignés pendant quelque temps mais sans se perdre de vue parce que nous n’avions pas les mêmes disponibilités par rapport à nos enfants. Nous sommes encore plus proches aujourd’hui et liés par les drames qui frappent nos deux familles : le frère de mon amie et son épouse ont été tués en voiture. Cela est arrivé quatre mois après le départ de Julien : un camion avec remorque transportant une pelleteuse a perdu le contrôle ; il s’est renversé sur leur voiture et les a écrasés.
Quand au second, une rencontre de vacances a fait naître cette amitié qui n’a cessé de grandir pendant treize années.
Nous étions en vacances d’été dans une station des Alpes du nord lorsque nous nous sommes rencontrés, lors d’une randonnée avec d’autres personnes. D’un côté comme de l’autre, nous avons « «accroché » et nos enfants respectifs ont fini de sceller nos relations.
Julien considérait leurs deux filles comme ses sœurs. Il avait beaucoup d’affinité avec la plus petite. C’était sa petite sœur. Ils se tapaient quelquefois dessus, mais les réconciliations ne se faisaient jamais attendre.
Pendant au moins sept ans, chaque été, nous avons passé nos vacances ensemble et vécu des moments merveilleux avec de bonnes crises de rires et un grand nombre d’anecdotes toutes plus drôles les unes que les autres. Nous nous entendions bien ; nous étions en phase pour tout.
En dehors des vacances, nous communiquions beaucoup par téléphone, chacun étant à un bout de la France.
Et puis le drame est arrivé.
Ils sont venus bien sûr aux obsèques de Julien puis nous avons eu droit au silence le plus total pendant trois mois. J’attendais leur appel, juste un mot, pas grand chose comme « on pense à vous » mais rien.
Nous subissions un autre deuil, celui de l’amitié qui s’ajoutait à notre grande souffrance.
Enfin, un soir, ils ont appelé pour me souhaiter mon anniversaire. Je les ai remerciés et leur ai dit qu’ils nous avaient manqué. La conversation était laconique. Notre complicité avait disparu. J’avais l’impression qu’une barrière invisible s’était dressée entre nous.
Alors, un jour, n’y tenant plus, la douleur m’égarant, j’ai pris la décision de leur écrire. J’avais besoin de me libérer. Mes mots ont été tranchants, bien ciblés et sans ambiguïté. Cela les a fait réagir.
Lorsque nous nous appelons, ils parlent très rarement de notre drame. Avant je trouvais cela insupportable, mais maintenant j’ai compris que nous n’avons pas le droit de les entraîner dans notre tristesse.
Nous nous revoyons souvent et je vois bien qu’ils comprennent notre douleur. Leurs regards sont remplis de compassion et leurs gestes envers nous sont tendres, appuyés. Ils sont partis la dernière fois en m’embrassant et en me disant « accroche-toi ». Ils avaient des larmes dans les yeux et des sanglots dans la voix.
Notre amitié a encore grandi dans cet événement. Ils font partie de nous, à la vie, à la mort.
J’ai beaucoup parlé avec ma psychothérapeute de leur comportement qui nous a rendus très malheureux mon mari et moi. Elle m’a expliqué que pour nos amis, ce silence est un bouclier et un manque de savoir se comporter devant cette souffrance que tout être humain peut ressentir un jour et qu’il ne voudrait jamais vivre. L’occultation crée ce rempart.
Mon mari me dit qu’il faut être dans notre situation pour comprendre et que nous aussi, nous n’avons pas toujours été à la hauteur lorsqu’un deuil est arrivé dans une des familles dont nous étions proches. Il a raison : on ne peut demander à quelqu’un de faire ce que nous, nous n’avions jamais fait auparavant ou mal en tout cas.
Julien a eu une nourrice, « tata Monique », depuis l’âge de six mois jusqu’à sept ans, qui l’a vu grandir. Il l’adorait. Nous sommes devenus amis avec cette famille de deux enfants. Le temps n’a pas eu de prise sur notre relation même s’il elle s’était espacée du fait de notre déménagement. Notre fils était considéré comme leur enfant. Mais un jour, un drame a assombri leur vie : Gérard, le « tonton », s’est suicidé. Il avait essayé deux jours auparavant de nous joindre au téléphone et avait laissé un message un peu délirant sur notre répondeur. Nous n’avions pas cru bon le rappeler.
Nous étions loin de nous douter qu’il ferait un tel geste car il ne nous en avait jamais parlé et il était très douillet de nature, ce qui éloignait toute pensée de ce genre en ce qui le concernait. Il est parti en laissant une lettre. Son fils l’a trouvé sur son lit.
Ses obsèques restent gravées à jamais dans notre mémoire : l’effondrement de cette famille ; les questions auxquelles elle n’aura jamais de réponse malgré le courrier laissé par Gérard et surtout le fait de n’avoir rien présagé. Leur violente douleur nous a traversés de part en part et nous sommes rentrés à la maison anéantis, en pleurs et dans l’impossibilité totale d’entreprendre quoique ce soit. Julien n’avait pas voulu y assister.
Nous garderons toujours au fond de nous ce sentiment de culpabilité que Julien n’a pas manqué d’attiser pendant longtemps, car il nous a reproché de ne pas avoir tendu la main à Gérard. Pardonne-nous, « tonton Gérard ». Si nous avions su. Mais il est bien trop tard.
Depuis, nous comprenons ce que cette famille a enduré : cet effroyable ressenti qu’est « l’arrachement » ; il vous empêche de vivre et de penser ; il vous tient debout uniquement. Et seule notre vie conditionnée nous fait mettre un pas devant l’autre avec des gestes robotisés.
Et puis, il y a les personnes que vous n’attendiez pas et qui vous aident, à leur manière, à sortir des ténèbres :
Julien avait un camarade de classe, Nicolas, qui habitait non loin de la maison. Ils prenaient le bus ensemble chaque jour pour se rendre au collège à une petite dizaine de kilomètres. Ils s’entendaient bien et souvent, nous recevions cet enfant et vice et versa.
Lorsque Nicolas est parti avec ses parents vivre dans le midi de la France, notre fils a eu beaucoup de peine ; cependant, ils ont continué leur camaraderie à distance : le téléphone, internet et peu de temps avant l’accident, une rencontre à Arles, avec Perrine l’amie de Julien avec qui il vivait depuis trois ans. Ils étaient heureux de se revoir et avaient promis d’organiser d’autres rencontres.
Perrine a annoncé elle-même la triste nouvelle à Nicolas.
La veille des obsèques, nous avons reçu un appel téléphonique de Nicolas, en larmes, qui avait du mal à parler. Entre deux sanglots, nous avons compris qu’il ne pourrait venir, car il était trop bouleversé. La distance était grande et l’émotion trop intense. Nous l’avons compris.
Ses parents qui adoraient Julien, nous ont écrit. J’ai répondu pour les remercier et quelque temps après, sa maman m’a appelée. Ce jour là, j’ai beaucoup parlé avec elle ; nous avons échangé des souvenirs et à un moment, elle me dit «qu’allez-vous faire maintenant ? Il faut vous occuper, absolument ». Il est vrai que, ne pensant qu’à mon chagrin, j’avais vraiment mis de côté « l’après ». Je ne savais pas. Alors elle me dit : rappelez-vous, Julien avait certaines dispositions pour la peinture. Pourquoi n’essaieriez-vous pas ? C’est peut être vous qui lui avez transmis ?
Je n’y croyais pas trop. Je n’avais jamais tenu un pinceau de ma vie ni même vraiment dessiné, en tout cas je n’en ai aucun souvenir ! Elle, étant artiste peintre, m’a donné les coordonnées d’un atelier de peinture où elle prenait des cours chaque semaine lorsqu’elle était sur la région parisienne. Peu de temps après, elle me rappelle et me demande si j’ai contacté cet atelier : non, je ne l’avais pas fait. Alors, elle m’a fait promettre de faire le nécessaire. Je ne voulais pas faillir à ma promesse et surtout ne pas la décevoir, alors j’ai intégré cet atelier.
Grâce à elle, j’ai trouvé un centre d’intérêt. Je peins très souvent. J’ai toujours un tableau en cours voire même plusieurs sur mes chevalets. Les murs en sont remplis. Ils sont ce qu’ils sont. On me dit que je devrais faire une exposition ; pourquoi pas mais ce n’est pas le but recherché. Ce qui m’importe, c’est d’être bien lorsque je tiens mon pinceau et que je mets de la couleur sur la toile. Ma tête se vide complètement à en être fatiguée, mais ce n’est pas grave. J’ai du répit pendant quelques heures.
Je n’ai jamais revu cette famille depuis leur départ ; ce dont je me souviens, c’est de la grande beauté de cette femme très douce, avec du soleil dans la voix. Tout devient beau lorsque l’on parle avec elle. Je ne suis pas étonnée qu’elle soit une artiste et je l’aime de tout mon cœur. A chaque fois que nous conversons, je la remercie de m’avoir aidée. Je ne cesserai jamais de le lui dire.
Nos relations :
Lorsque nous les rencontrons, ils parlent de leurs gros problèmes de petits bobos et nous font savoir que c’est impossible que nous les comprenions tellement c’est important et difficile à vivre pour eux. Ils promettent de venir nous voir ….
Souvent ces promesses ne sont pas tenues alors je crève l’abcès de mon ressenti : je leur en parle. Mais quelquefois je m’aperçois que je vais trop loin car la mauvaise foi n’est pas toujours de mise. Des concours de circonstance malheureux peuvent provoquer des malentendus. Ma douleur et ma colère, lorsque je ne vais pas bien, m’empêchent d’être objective. Personne ne peut comprendre qu’une petite déception peut me fait redescendre dans mon enfer.
Il y a donc eu des ruptures avec certains et pour d’autres des silences de quelques semaines voire de quelques mois mais ils ont eu la gentillesse de me rappeler, mettant ainsi un terme à toute équivoque.
Dans notre deuil, nous nous marginalisons sans le vouloir malgré notre désir d’avancer car notre malheur nous martèle l’esprit. Quand le souvenir sera t’il plus doux ? Cette douceur arrivera t’elle un jour ?
Et les nouveaux amis :
Nous ne pouvons pas dire pour l’instant si les amitiés naissantes dureront ; en tout cas, une se dessine. Ce sont des personnes qui nous n’avions jamais rencontrées avant la mort de Julien mais qui le connaissaient bien et l’aimaient de tout leur cœur. Son départ a semé la tristesse dans cette famille et depuis que nous sommes arrivés dans le village pour y vivre notre nouvelle vie, ils essaient de nous apporter du réconfort et de la tendresse. Ils ont un très grand cœur et ils sont sains : nous avons les mêmes attraits pour la nature et les animaux. Ils prennent soin de nous à leur façon.
Ces attentions dureront-elles ? Seront nous capables de leur donner la volonté de les entretenir ? N’allons nous pas avec notre malheur les lasser ?
L’avenir nous le dira.
La famille :
Elle n’est pas bien grande et rien n’a changé dans nos relations depuis le départ de Julien. Nous ne la voyons pas plus qu’avant, c’est-à-dire pratiquement jamais. Elle continue son chemin et nous le nôtre. La distance est un élément qui ne facilite pas les contacts. Cependant, nous savons que la mort de notre fils a chamboulé leur vie. Des peurs sont survenues par rapport à leurs enfants car dorénavant elle sait que cela n’arrive pas qu’aux autres.
Nos deux enfants et deux petits enfants dans ce drame :
Nathalie je la vois presque chaque jour ; nous habitons le même village. Elle s’enquiert beaucoup de notre santé et de notre devenir.
J’échange beaucoup avec elle. Les souvenirs des bons moments pendant son enfance avec son frère et sa sœur sont souvent évoqués. Paul, quatre ans, notre petit fils, est également très présent dans notre vie. C’est un enfant plein de vie. Je retrouve Julien dans ses gestes et ses expressions. Il y a des photos qui ne trompent pas. Il est habité par lui. Je ne sais s’il en a souvenir mais en tout cas, il en parle très souvent et a une approche de la mort qui est rare pour son âge. Il a été marqué profondément par sa disparition. Il embrasse ses photos, il veut être coiffé comme lui, il dit toujours « comme tonton ».
Il sait qu’il ne le reverra plus jamais car nous lui avons dit que lorsque l’on monte au ciel et que l’on devient une étoile, on ne revient pas mais on veille sur ceux qui sont sur terre.
Virginie la sœur jumelle de Nathalie habite La Rochelle ; cinq cents kilomètres nous séparent.
Elle part tôt le matin et rentre tard le soir et a peu de temps pour elle ; alors nous attendons ses appels ; une fois par semaine est la fréquence.
Nous nous voyons deux fois par an parce que son métier ne lui permet pas de se libérer facilement le week-end. Pour Noël et le Jour de l’an, c’est la même chose.
Elle parle peu de son frère mais je sais qu’elle y pense.
Elle fait rarement partie de nos réunions de famille ; la distance bien sûr en est la cause majeure mais cependant je la sens loin de nous en pensées ; j’aimerais tant échanger avec elle comme je le fais avec Nathalie. Elle me manque terriblement.
Elle se confie rarement à moi et masque ses inquiétudes et ses problèmes, probablement pour éviter de me soucier ; cependant, je les ressens. Je ne connais que la surface de sa vie. Nous échangeons des banalités : la pluie, le beau temps…. Rien d’autre. Elle vit en couple avec son compagnon et Maëlle leur petite fille, née trois semaines avant la mort de Julien ; c’est une adorable petite fille, une jolie poupée pleine de tonus qui nous connaît peu. Elle grandit et nous pouvons maintenant commencer à lui parler au téléphone ; pour l’instant, c’est le seul moyen que nous avons pour commencer à tisser un lien.
Et les autres……..
Nous ne pouvons pas demander au monde entier de compatir à notre malheur alors nous donnons l’apparence de ne pas être différents des autres. Pourtant ……
Je souhaite de tout mon cœur que les personnes en bonne santé et heureuses d’être sur terre, soient protégées de ces drames qui anéantissent toutes les raisons de vivre de ceux qui les subissent.
**************
NOS AMIS, NOTRE FAMILLE ET LES AUTRES…….
Les amis :
J’ai décortiqué à ma façon ce mot depuis la mort de Julien : « a » comme amour et « mi » comme moitié, partage…….
Nous avons subi la solitude dans les moments où nous aurions eu besoin d’être entourés. Nous étions évités par un grand nombre de personnes de notre entourage et de notre voisinage mis à part deux dont le soutien pour l’une, se caractérisait par une présence quasi journalière ; elle prenait de son temps pour m’écouter et essayait de me consoler ; et pour l’autre, n’osant me rencontrer physiquement, à sa manière et par des messages sur mon portable, elle essayait d’éclaircir mes jours sombres.
Je fais la relation aujourd’hui avec le fait qu’elles ont subi toutes les deux des chocs émotionnels très importants qui les a fait agir d’instinct à notre égard car nous les avions rejointes dans leurs souffrances : l’une a perdu un fils de sept mois d’une maladie orpheline et la seconde a vu sa famille se faire massacrer sous le régime de Pol Pot.
Deux couples d’amis ont jalonné notre vie, hormis les relations de camaraderie que nous entretenons avec un certain nombre de personnes.
Un dont l’amitié est de plusieurs dizaines d’années, s’avère indestructible. Ce couple a toujours été là dans les périodes noires de ma vie et continue de le faire. Nous nous sommes un peu éloignés pendant quelque temps mais sans se perdre de vue parce que nous n’avions pas les mêmes disponibilités par rapport à nos enfants. Nous sommes encore plus proches aujourd’hui et liés par les drames qui frappent nos deux familles : le frère de mon amie et son épouse ont été tués en voiture. Cela est arrivé quatre mois après le départ de Julien : un camion avec remorque transportant une pelleteuse a perdu le contrôle ; il s’est renversé sur leur voiture et les a écrasés.
Quand au second, une rencontre de vacances a fait naître cette amitié qui n’a cessé de grandir pendant treize années.
Nous étions en vacances d’été dans une station des Alpes du nord lorsque nous nous sommes rencontrés, lors d’une randonnée avec d’autres personnes. D’un côté comme de l’autre, nous avons « «accroché » et nos enfants respectifs ont fini de sceller nos relations.
Julien considérait leurs deux filles comme ses sœurs. Il avait beaucoup d’affinité avec la plus petite. C’était sa petite sœur. Ils se tapaient quelquefois dessus, mais les réconciliations ne se faisaient jamais attendre.
Pendant au moins sept ans, chaque été, nous avons passé nos vacances ensemble et vécu des moments merveilleux avec de bonnes crises de rires et un grand nombre d’anecdotes toutes plus drôles les unes que les autres. Nous nous entendions bien ; nous étions en phase pour tout.
En dehors des vacances, nous communiquions beaucoup par téléphone, chacun étant à un bout de la France.
Et puis le drame est arrivé.
Ils sont venus bien sûr aux obsèques de Julien puis nous avons eu droit au silence le plus total pendant trois mois. J’attendais leur appel, juste un mot, pas grand chose comme « on pense à vous » mais rien.
Nous subissions un autre deuil, celui de l’amitié qui s’ajoutait à notre grande souffrance.
Enfin, un soir, ils ont appelé pour me souhaiter mon anniversaire. Je les ai remerciés et leur ai dit qu’ils nous avaient manqué. La conversation était laconique. Notre complicité avait disparu. J’avais l’impression qu’une barrière invisible s’était dressée entre nous.
Alors, un jour, n’y tenant plus, la douleur m’égarant, j’ai pris la décision de leur écrire. J’avais besoin de me libérer. Mes mots ont été tranchants, bien ciblés et sans ambiguïté. Cela les a fait réagir.
Lorsque nous nous appelons, ils parlent très rarement de notre drame. Avant je trouvais cela insupportable, mais maintenant j’ai compris que nous n’avons pas le droit de les entraîner dans notre tristesse.
Nous nous revoyons souvent et je vois bien qu’ils comprennent notre douleur. Leurs regards sont remplis de compassion et leurs gestes envers nous sont tendres, appuyés. Ils sont partis la dernière fois en m’embrassant et en me disant « accroche-toi ». Ils avaient des larmes dans les yeux et des sanglots dans la voix.
Notre amitié a encore grandi dans cet événement. Ils font partie de nous, à la vie, à la mort.
J’ai beaucoup parlé avec ma psychothérapeute de leur comportement qui nous a rendus très malheureux mon mari et moi. Elle m’a expliqué que pour nos amis, ce silence est un bouclier et un manque de savoir se comporter devant cette souffrance que tout être humain peut ressentir un jour et qu’il ne voudrait jamais vivre. L’occultation crée ce rempart.
Mon mari me dit qu’il faut être dans notre situation pour comprendre et que nous aussi, nous n’avons pas toujours été à la hauteur lorsqu’un deuil est arrivé dans une des familles dont nous étions proches. Il a raison : on ne peut demander à quelqu’un de faire ce que nous, nous n’avions jamais fait auparavant ou mal en tout cas.
Julien a eu une nourrice, « tata Monique », depuis l’âge de six mois jusqu’à sept ans, qui l’a vu grandir. Il l’adorait. Nous sommes devenus amis avec cette famille de deux enfants. Le temps n’a pas eu de prise sur notre relation même s’il elle s’était espacée du fait de notre déménagement. Notre fils était considéré comme leur enfant. Mais un jour, un drame a assombri leur vie : Gérard, le « tonton », s’est suicidé. Il avait essayé deux jours auparavant de nous joindre au téléphone et avait laissé un message un peu délirant sur notre répondeur. Nous n’avions pas cru bon le rappeler.
Nous étions loin de nous douter qu’il ferait un tel geste car il ne nous en avait jamais parlé et il était très douillet de nature, ce qui éloignait toute pensée de ce genre en ce qui le concernait. Il est parti en laissant une lettre. Son fils l’a trouvé sur son lit.
Ses obsèques restent gravées à jamais dans notre mémoire : l’effondrement de cette famille ; les questions auxquelles elle n’aura jamais de réponse malgré le courrier laissé par Gérard et surtout le fait de n’avoir rien présagé. Leur violente douleur nous a traversés de part en part et nous sommes rentrés à la maison anéantis, en pleurs et dans l’impossibilité totale d’entreprendre quoique ce soit. Julien n’avait pas voulu y assister.
Nous garderons toujours au fond de nous ce sentiment de culpabilité que Julien n’a pas manqué d’attiser pendant longtemps, car il nous a reproché de ne pas avoir tendu la main à Gérard. Pardonne-nous, « tonton Gérard ». Si nous avions su. Mais il est bien trop tard.
Depuis, nous comprenons ce que cette famille a enduré : cet effroyable ressenti qu’est « l’arrachement » ; il vous empêche de vivre et de penser ; il vous tient debout uniquement. Et seule notre vie conditionnée nous fait mettre un pas devant l’autre avec des gestes robotisés.
Et puis, il y a les personnes que vous n’attendiez pas et qui vous aident, à leur manière, à sortir des ténèbres :
Julien avait un camarade de classe, Nicolas, qui habitait non loin de la maison. Ils prenaient le bus ensemble chaque jour pour se rendre au collège à une petite dizaine de kilomètres. Ils s’entendaient bien et souvent, nous recevions cet enfant et vice et versa.
Lorsque Nicolas est parti avec ses parents vivre dans le midi de la France, notre fils a eu beaucoup de peine ; cependant, ils ont continué leur camaraderie à distance : le téléphone, internet et peu de temps avant l’accident, une rencontre à Arles, avec Perrine l’amie de Julien avec qui il vivait depuis trois ans. Ils étaient heureux de se revoir et avaient promis d’organiser d’autres rencontres.
Perrine a annoncé elle-même la triste nouvelle à Nicolas.
La veille des obsèques, nous avons reçu un appel téléphonique de Nicolas, en larmes, qui avait du mal à parler. Entre deux sanglots, nous avons compris qu’il ne pourrait venir, car il était trop bouleversé. La distance était grande et l’émotion trop intense. Nous l’avons compris.
Ses parents qui adoraient Julien, nous ont écrit. J’ai répondu pour les remercier et quelque temps après, sa maman m’a appelée. Ce jour là, j’ai beaucoup parlé avec elle ; nous avons échangé des souvenirs et à un moment, elle me dit «qu’allez-vous faire maintenant ? Il faut vous occuper, absolument ». Il est vrai que, ne pensant qu’à mon chagrin, j’avais vraiment mis de côté « l’après ». Je ne savais pas. Alors elle me dit : rappelez-vous, Julien avait certaines dispositions pour la peinture. Pourquoi n’essaieriez-vous pas ? C’est peut être vous qui lui avez transmis ?
Je n’y croyais pas trop. Je n’avais jamais tenu un pinceau de ma vie ni même vraiment dessiné, en tout cas je n’en ai aucun souvenir ! Elle, étant artiste peintre, m’a donné les coordonnées d’un atelier de peinture où elle prenait des cours chaque semaine lorsqu’elle était sur la région parisienne. Peu de temps après, elle me rappelle et me demande si j’ai contacté cet atelier : non, je ne l’avais pas fait. Alors, elle m’a fait promettre de faire le nécessaire. Je ne voulais pas faillir à ma promesse et surtout ne pas la décevoir, alors j’ai intégré cet atelier.
Grâce à elle, j’ai trouvé un centre d’intérêt. Je peins très souvent. J’ai toujours un tableau en cours voire même plusieurs sur mes chevalets. Les murs en sont remplis. Ils sont ce qu’ils sont. On me dit que je devrais faire une exposition ; pourquoi pas mais ce n’est pas le but recherché. Ce qui m’importe, c’est d’être bien lorsque je tiens mon pinceau et que je mets de la couleur sur la toile. Ma tête se vide complètement à en être fatiguée, mais ce n’est pas grave. J’ai du répit pendant quelques heures.
Je n’ai jamais revu cette famille depuis leur départ ; ce dont je me souviens, c’est de la grande beauté de cette femme très douce, avec du soleil dans la voix. Tout devient beau lorsque l’on parle avec elle. Je ne suis pas étonnée qu’elle soit une artiste et je l’aime de tout mon cœur. A chaque fois que nous conversons, je la remercie de m’avoir aidée. Je ne cesserai jamais de le lui dire.
Nos relations :
Lorsque nous les rencontrons, ils parlent de leurs gros problèmes de petits bobos et nous font savoir que c’est impossible que nous les comprenions tellement c’est important et difficile à vivre pour eux. Ils promettent de venir nous voir ….
Souvent ces promesses ne sont pas tenues alors je crève l’abcès de mon ressenti : je leur en parle. Mais quelquefois je m’aperçois que je vais trop loin car la mauvaise foi n’est pas toujours de mise. Des concours de circonstance malheureux peuvent provoquer des malentendus. Ma douleur et ma colère, lorsque je ne vais pas bien, m’empêchent d’être objective. Personne ne peut comprendre qu’une petite déception peut me fait redescendre dans mon enfer.
Il y a donc eu des ruptures avec certains et pour d’autres des silences de quelques semaines voire de quelques mois mais ils ont eu la gentillesse de me rappeler, mettant ainsi un terme à toute équivoque.
Dans notre deuil, nous nous marginalisons sans le vouloir malgré notre désir d’avancer car notre malheur nous martèle l’esprit. Quand le souvenir sera t’il plus doux ? Cette douceur arrivera t’elle un jour ?
Et les nouveaux amis :
Nous ne pouvons pas dire pour l’instant si les amitiés naissantes dureront ; en tout cas, une se dessine. Ce sont des personnes qui nous n’avions jamais rencontrées avant la mort de Julien mais qui le connaissaient bien et l’aimaient de tout leur cœur. Son départ a semé la tristesse dans cette famille et depuis que nous sommes arrivés dans le village pour y vivre notre nouvelle vie, ils essaient de nous apporter du réconfort et de la tendresse. Ils ont un très grand cœur et ils sont sains : nous avons les mêmes attraits pour la nature et les animaux. Ils prennent soin de nous à leur façon.
Ces attentions dureront-elles ? Seront nous capables de leur donner la volonté de les entretenir ? N’allons nous pas avec notre malheur les lasser ?
L’avenir nous le dira.
La famille :
Elle n’est pas bien grande et rien n’a changé dans nos relations depuis le départ de Julien. Nous ne la voyons pas plus qu’avant, c’est-à-dire pratiquement jamais. Elle continue son chemin et nous le nôtre. La distance est un élément qui ne facilite pas les contacts. Cependant, nous savons que la mort de notre fils a chamboulé leur vie. Des peurs sont survenues par rapport à leurs enfants car dorénavant elle sait que cela n’arrive pas qu’aux autres.
Nos deux enfants et deux petits enfants dans ce drame :
Nathalie je la vois presque chaque jour ; nous habitons le même village. Elle s’enquiert beaucoup de notre santé et de notre devenir.
J’échange beaucoup avec elle. Les souvenirs des bons moments pendant son enfance avec son frère et sa sœur sont souvent évoqués. Paul, quatre ans, notre petit fils, est également très présent dans notre vie. C’est un enfant plein de vie. Je retrouve Julien dans ses gestes et ses expressions. Il y a des photos qui ne trompent pas. Il est habité par lui. Je ne sais s’il en a souvenir mais en tout cas, il en parle très souvent et a une approche de la mort qui est rare pour son âge. Il a été marqué profondément par sa disparition. Il embrasse ses photos, il veut être coiffé comme lui, il dit toujours « comme tonton ».
Il sait qu’il ne le reverra plus jamais car nous lui avons dit que lorsque l’on monte au ciel et que l’on devient une étoile, on ne revient pas mais on veille sur ceux qui sont sur terre.
Virginie la sœur jumelle de Nathalie habite La Rochelle ; cinq cents kilomètres nous séparent.
Elle part tôt le matin et rentre tard le soir et a peu de temps pour elle ; alors nous attendons ses appels ; une fois par semaine est la fréquence.
Nous nous voyons deux fois par an parce que son métier ne lui permet pas de se libérer facilement le week-end. Pour Noël et le Jour de l’an, c’est la même chose.
Elle parle peu de son frère mais je sais qu’elle y pense.
Elle fait rarement partie de nos réunions de famille ; la distance bien sûr en est la cause majeure mais cependant je la sens loin de nous en pensées ; j’aimerais tant échanger avec elle comme je le fais avec Nathalie. Elle me manque terriblement.
Elle se confie rarement à moi et masque ses inquiétudes et ses problèmes, probablement pour éviter de me soucier ; cependant, je les ressens. Je ne connais que la surface de sa vie. Nous échangeons des banalités : la pluie, le beau temps…. Rien d’autre. Elle vit en couple avec son compagnon et Maëlle leur petite fille, née trois semaines avant la mort de Julien ; c’est une adorable petite fille, une jolie poupée pleine de tonus qui nous connaît peu. Elle grandit et nous pouvons maintenant commencer à lui parler au téléphone ; pour l’instant, c’est le seul moyen que nous avons pour commencer à tisser un lien.
Et les autres……..
Nous ne pouvons pas demander au monde entier de compatir à notre malheur alors nous donnons l’apparence de ne pas être différents des autres. Pourtant ……
Je souhaite de tout mon cœur que les personnes en bonne santé et heureuses d’être sur terre, soient protégées de ces drames qui anéantissent toutes les raisons de vivre de ceux qui les subissent.
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NOS AMIS, NOTRE FAMILLE ET LES AUTRES…….
Les amis :
J’ai décortiqué à ma façon ce mot depuis la mort de Julien : « a » comme amour et « mi » comme moitié, partage…….
Nous avons subi la solitude dans les moments où nous aurions eu besoin d’être entourés. Nous étions évités par un grand nombre de personnes de notre entourage et de notre voisinage mis à part deux dont le soutien pour l’une, se caractérisait par une présence quasi journalière ; elle prenait de son temps pour m’écouter et essayait de me consoler ; et pour l’autre, n’osant me rencontrer physiquement, à sa manière et par des messages sur mon portable, elle essayait d’éclaircir mes jours sombres.
Je fais la relation aujourd’hui avec le fait qu’elles ont subi toutes les deux des chocs émotionnels très importants qui les a fait agir d’instinct à notre égard car nous les avions rejointes dans leurs souffrances : l’une a perdu un fils de sept mois d’une maladie orpheline et la seconde a vu sa famille se faire massacrer sous le régime de Pol Pot.
Deux couples d’amis ont jalonné notre vie, hormis les relations de camaraderie que nous entretenons avec un certain nombre de personnes.
Un dont l’amitié est de plusieurs dizaines d’années, s’avère indestructible. Ce couple a toujours été là dans les périodes noires de ma vie et continue de le faire. Nous nous sommes un peu éloignés pendant quelque temps mais sans se perdre de vue parce que nous n’avions pas les mêmes disponibilités par rapport à nos enfants. Nous sommes encore plus proches aujourd’hui et liés par les drames qui frappent nos deux familles : le frère de mon amie et son épouse ont été tués en voiture. Cela est arrivé quatre mois après le départ de Julien : un camion avec remorque transportant une pelleteuse a perdu le contrôle ; il s’est renversé sur leur voiture et les a écrasés.
Quand au second, une rencontre de vacances a fait naître cette amitié qui n’a cessé de grandir pendant treize années.
Nous étions en vacances d’été dans une station des Alpes du nord lorsque nous nous sommes rencontrés, lors d’une randonnée avec d’autres personnes. D’un côté comme de l’autre, nous avons « «accroché » et nos enfants respectifs ont fini de sceller nos relations.
Julien considérait leurs deux filles comme ses sœurs. Il avait beaucoup d’affinité avec la plus petite. C’était sa petite sœur. Ils se tapaient quelquefois dessus, mais les réconciliations ne se faisaient jamais attendre.
Pendant au moins sept ans, chaque été, nous avons passé nos vacances ensemble et vécu des moments merveilleux avec de bonnes crises de rires et un grand nombre d’anecdotes toutes plus drôles les unes que les autres. Nous nous entendions bien ; nous étions en phase pour tout.
En dehors des vacances, nous communiquions beaucoup par téléphone, chacun étant à un bout de la France.
Et puis le drame est arrivé.
Ils sont venus bien sûr aux obsèques de Julien puis nous avons eu droit au silence le plus total pendant trois mois. J’attendais leur appel, juste un mot, pas grand chose comme « on pense à vous » mais rien.
Nous subissions un autre deuil, celui de l’amitié qui s’ajoutait à notre grande souffrance.
Enfin, un soir, ils ont appelé pour me souhaiter mon anniversaire. Je les ai remerciés et leur ai dit qu’ils nous avaient manqué. La conversation était laconique. Notre complicité avait disparu. J’avais l’impression qu’une barrière invisible s’était dressée entre nous.
Alors, un jour, n’y tenant plus, la douleur m’égarant, j’ai pris la décision de leur écrire. J’avais besoin de me libérer. Mes mots ont été tranchants, bien ciblés et sans ambiguïté. Cela les a fait réagir.
Lorsque nous nous appelons, ils parlent très rarement de notre drame. Avant je trouvais cela insupportable, mais maintenant j’ai compris que nous n’avons pas le droit de les entraîner dans notre tristesse.
Nous nous revoyons souvent et je vois bien qu’ils comprennent notre douleur. Leurs regards sont remplis de compassion et leurs gestes envers nous sont tendres, appuyés. Ils sont partis la dernière fois en m’embrassant et en me disant « accroche-toi ». Ils avaient des larmes dans les yeux et des sanglots dans la voix.
Notre amitié a encore grandi dans cet événement. Ils font partie de nous, à la vie, à la mort.
J’ai beaucoup parlé avec ma psychothérapeute de leur comportement qui nous a rendus très malheureux mon mari et moi. Elle m’a expliqué que pour nos amis, ce silence est un bouclier et un manque de savoir se comporter devant cette souffrance que tout être humain peut ressentir un jour et qu’il ne voudrait jamais vivre. L’occultation crée ce rempart.
Mon mari me dit qu’il faut être dans notre situation pour comprendre et que nous aussi, nous n’avons pas toujours été à la hauteur lorsqu’un deuil est arrivé dans une des familles dont nous étions proches. Il a raison : on ne peut demander à quelqu’un de faire ce que nous, nous n’avions jamais fait auparavant ou mal en tout cas.
Julien a eu une nourrice, « tata Monique », depuis l’âge de six mois jusqu’à sept ans, qui l’a vu grandir. Il l’adorait. Nous sommes devenus amis avec cette famille de deux enfants. Le temps n’a pas eu de prise sur notre relation même s’il elle s’était espacée du fait de notre déménagement. Notre fils était considéré comme leur enfant. Mais un jour, un drame a assombri leur vie : Gérard, le « tonton », s’est suicidé. Il avait essayé deux jours auparavant de nous joindre au téléphone et avait laissé un message un peu délirant sur notre répondeur. Nous n’avions pas cru bon le rappeler.
Nous étions loin de nous douter qu’il ferait un tel geste car il ne nous en avait jamais parlé et il était très douillet de nature, ce qui éloignait toute pensée de ce genre en ce qui le concernait. Il est parti en laissant une lettre. Son fils l’a trouvé sur son lit.
Ses obsèques restent gravées à jamais dans notre mémoire : l’effondrement de cette famille ; les questions auxquelles elle n’aura jamais de réponse malgré le courrier laissé par Gérard et surtout le fait de n’avoir rien présagé. Leur violente douleur nous a traversés de part en part et nous sommes rentrés à la maison anéantis, en pleurs et dans l’impossibilité totale d’entreprendre quoique ce soit. Julien n’avait pas voulu y assister.
Nous garderons toujours au fond de nous ce sentiment de culpabilité que Julien n’a pas manqué d’attiser pendant longtemps, car il nous a reproché de ne pas avoir tendu la main à Gérard. Pardonne-nous, « tonton Gérard ». Si nous avions su. Mais il est bien trop tard.
Depuis, nous comprenons ce que cette famille a enduré : cet effroyable ressenti qu’est « l’arrachement » ; il vous empêche de vivre et de penser ; il vous tient debout uniquement. Et seule notre vie conditionnée nous fait mettre un pas devant l’autre avec des gestes robotisés.
Et puis, il y a les personnes que vous n’attendiez pas et qui vous aident, à leur manière, à sortir des ténèbres :
Julien avait un camarade de classe, Nicolas, qui habitait non loin de la maison. Ils prenaient le bus ensemble chaque jour pour se rendre au collège à une petite dizaine de kilomètres. Ils s’entendaient bien et souvent, nous recevions cet enfant et vice et versa.
Lorsque Nicolas est parti avec ses parents vivre dans le midi de la France, notre fils a eu beaucoup de peine ; cependant, ils ont continué leur camaraderie à distance : le téléphone, internet et peu de temps avant l’accident, une rencontre à Arles, avec Perrine l’amie de Julien avec qui il vivait depuis trois ans. Ils étaient heureux de se revoir et avaient promis d’organiser d’autres rencontres.
Perrine a annoncé elle-même la triste nouvelle à Nicolas.
La veille des obsèques, nous avons reçu un appel téléphonique de Nicolas, en larmes, qui avait du mal à parler. Entre deux sanglots, nous avons compris qu’il ne pourrait venir, car il était trop bouleversé. La distance était grande et l’émotion trop intense. Nous l’avons compris.
Ses parents qui adoraient Julien, nous ont écrit. J’ai répondu pour les remercier et quelque temps après, sa maman m’a appelée. Ce jour là, j’ai beaucoup parlé avec elle ; nous avons échangé des souvenirs et à un moment, elle me dit «qu’allez-vous faire maintenant ? Il faut vous occuper, absolument ». Il est vrai que, ne pensant qu’à mon chagrin, j’avais vraiment mis de côté « l’après ». Je ne savais pas. Alors elle me dit : rappelez-vous, Julien avait certaines dispositions pour la peinture. Pourquoi n’essaieriez-vous pas ? C’est peut être vous qui lui avez transmis ?
Je n’y croyais pas trop. Je n’avais jamais tenu un pinceau de ma vie ni même vraiment dessiné, en tout cas je n’en ai aucun souvenir ! Elle, étant artiste peintre, m’a donné les coordonnées d’un atelier de peinture où elle prenait des cours chaque semaine lorsqu’elle était sur la région parisienne. Peu de temps après, elle me rappelle et me demande si j’ai contacté cet atelier : non, je ne l’avais pas fait. Alors, elle m’a fait promettre de faire le nécessaire. Je ne voulais pas faillir à ma promesse et surtout ne pas la décevoir, alors j’ai intégré cet atelier.
Grâce à elle, j’ai trouvé un centre d’intérêt. Je peins très souvent. J’ai toujours un tableau en cours voire même plusieurs sur mes chevalets. Les murs en sont remplis. Ils sont ce qu’ils sont. On me dit que je devrais faire une exposition ; pourquoi pas mais ce n’est pas le but recherché. Ce qui m’importe, c’est d’être bien lorsque je tiens mon pinceau et que je mets de la couleur sur la toile. Ma tête se vide complètement à en être fatiguée, mais ce n’est pas grave. J’ai du répit pendant quelques heures.
Je n’ai jamais revu cette famille depuis leur départ ; ce dont je me souviens, c’est de la grande beauté de cette femme très douce, avec du soleil dans la voix. Tout devient beau lorsque l’on parle avec elle. Je ne suis pas étonnée qu’elle soit une artiste et je l’aime de tout mon cœur. A chaque fois que nous conversons, je la remercie de m’avoir aidée. Je ne cesserai jamais de le lui dire.
Nos relations :
Lorsque nous les rencontrons, ils parlent de leurs gros problèmes de petits bobos et nous font savoir que c’est impossible que nous les comprenions tellement c’est important et difficile à vivre pour eux. Ils promettent de venir nous voir ….
Souvent ces promesses ne sont pas tenues alors je crève l’abcès de mon ressenti : je leur en parle. Mais quelquefois je m’aperçois que je vais trop loin car la mauvaise foi n’est pas toujours de mise. Des concours de circonstance malheureux peuvent provoquer des malentendus. Ma douleur et ma colère, lorsque je ne vais pas bien, m’empêchent d’être objective. Personne ne peut comprendre qu’une petite déception peut me fait redescendre dans mon enfer.
Il y a donc eu des ruptures avec certains et pour d’autres des silences de quelques semaines voire de quelques mois mais ils ont eu la gentillesse de me rappeler, mettant ainsi un terme à toute équivoque.
Dans notre deuil, nous nous marginalisons sans le vouloir malgré notre désir d’avancer car notre malheur nous martèle l’esprit. Quand le souvenir sera t’il plus doux ? Cette douceur arrivera t’elle un jour ?
Et les nouveaux amis :
Nous ne pouvons pas dire pour l’instant si les amitiés naissantes dureront ; en tout cas, une se dessine. Ce sont des personnes qui nous n’avions jamais rencontrées avant la mort de Julien mais qui le connaissaient bien et l’aimaient de tout leur cœur. Son départ a semé la tristesse dans cette famille et depuis que nous sommes arrivés dans le village pour y vivre notre nouvelle vie, ils essaient de nous apporter du réconfort et de la tendresse. Ils ont un très grand cœur et ils sont sains : nous avons les mêmes attraits pour la nature et les animaux. Ils prennent soin de nous à leur façon.
Ces attentions dureront-elles ? Seront nous capables de leur donner la volonté de les entretenir ? N’allons nous pas avec notre malheur les lasser ?
L’avenir nous le dira.
La famille :
Elle n’est pas bien grande et rien n’a changé dans nos relations depuis le départ de Julien. Nous ne la voyons pas plus qu’avant, c’est-à-dire pratiquement jamais. Elle continue son chemin et nous le nôtre. La distance est un élément qui ne facilite pas les contacts. Cependant, nous savons que la mort de notre fils a chamboulé leur vie. Des peurs sont survenues par rapport à leurs enfants car dorénavant elle sait que cela n’arrive pas qu’aux autres.
Nos deux enfants et deux petits enfants dans ce drame :
Nathalie je la vois presque chaque jour ; nous habitons le même village. Elle s’enquiert beaucoup de notre santé et de notre devenir.
J’échange beaucoup avec elle. Les souvenirs des bons moments pendant son enfance avec son frère et sa sœur sont souvent évoqués. Paul, quatre ans, notre petit fils, est également très présent dans notre vie. C’est un enfant plein de vie. Je retrouve Julien dans ses gestes et ses expressions. Il y a des photos qui ne trompent pas. Il est habité par lui. Je ne sais s’il en a souvenir mais en tout cas, il en parle très souvent et a une approche de la mort qui est rare pour son âge. Il a été marqué profondément par sa disparition. Il embrasse ses photos, il veut être coiffé comme lui, il dit toujours « comme tonton ».
Il sait qu’il ne le reverra plus jamais car nous lui avons dit que lorsque l’on monte au ciel et que l’on devient une étoile, on ne revient pas mais on veille sur ceux qui sont sur terre.
Virginie la sœur jumelle de Nathalie habite La Rochelle ; cinq cents kilomètres nous séparent.
Elle part tôt le matin et rentre tard le soir et a peu de temps pour elle ; alors nous attendons ses appels ; une fois par semaine est la fréquence.
Nous nous voyons deux fois par an parce que son métier ne lui permet pas de se libérer facilement le week-end. Pour Noël et le Jour de l’an, c’est la même chose.
Elle parle peu de son frère mais je sais qu’elle y pense.
Elle fait rarement partie de nos réunions de famille ; la distance bien sûr en est la cause majeure mais cependant je la sens loin de nous en pensées ; j’aimerais tant échanger avec elle comme je le fais avec Nathalie. Elle me manque terriblement.
Elle se confie rarement à moi et masque ses inquiétudes et ses problèmes, probablement pour éviter de me soucier ; cependant, je les ressens. Je ne connais que la surface de sa vie. Nous échangeons des banalités : la pluie, le beau temps…. Rien d’autre. Elle vit en couple avec son compagnon et Maëlle leur petite fille, née trois semaines avant la mort de Julien ; c’est une adorable petite fille, une jolie poupée pleine de tonus qui nous connaît peu. Elle grandit et nous pouvons maintenant commencer à lui parler au téléphone ; pour l’instant, c’est le seul moyen que nous avons pour commencer à tisser un lien.
Et les autres……..
Nous ne pouvons pas demander au monde entier de compatir à notre malheur alors nous donnons l’apparence de ne pas être différents des autres. Pourtant ……
Je souhaite de tout mon cœur que les personnes en bonne santé et heureuses d’être sur terre, soient protégées de ces drames qui anéantissent toutes les raisons de vivre de ceux qui les subissent.
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NOS REGRETS
Avons-nous fait assez pour que cela n’arrive pas ?
C’est toujours la question que se pose chaque jour mon mari. Il ne cesse de me dire qu’il n’a pas eu la conviction nécessaire qui aurait permis à notre fils d’arrêter de faire de la moto. Il se sent en partie responsable de sa mort. Il y était cependant arrivé, car quinze jours avant l’accident, Julien avait indiqué à ses amis qu’il avait conscience du danger que cela représentait et qu’il ferait dorénavant ce « sport » uniquement sur circuit car il ne voulait pas « prendre une voiture en pleine face…. »
Julien était seriné continuellement par nous deux. Il nous disait être prudent et nous lui répondions : «oui, mais il y a les autres ».Oui les autres ! Pourtant, il avait eu un avertissement deux ans auparavant : il avait eu un grave accident avec son amie sur le périphérique, vers Paris, percutés par une voiture qui a déboité subitement. Ils s’en étaient sortis : Perrine avait eu une épaule cassée et Julien des blessures aux genoux et deux doigts abîmés qui avaient laissé des séquelles. Il était kinésithérapeute et cela le gênait dans l’exercice de son métier. Nous pensions qu’il ne remonterait plus sur une moto car il avait eu très peur. Il m’avait dit : « maman, quand j’ai vu que j’allais être percuté, je t’ai appelée parce que j’ai la vu la mort arriver ». Aujourd’hui, je suis persuadée que lors de l’accident qui lui a été fatal, il a pensé la même chose. Cela me fait mal.
Pendant plusieurs mois, nous nous sommes sentis tranquilles car il ne parlait plus de ces engins de mort et puis un jour, une nouvelle « machine » est arrivée. En tout cas, hors de la maison, car suite à ce premier accident, nous avons refusé par la suite de le recevoir avec cette « mécanique »; il avait compris le message : la voiture était de mise à chacune de ses visites.
Nous avons essayé de ne plus trop y penser car nous nous disions qu’il avait frôlé la mort une fois et que la malchance lâcherait prise, sachant toutefois que personne n’est immortel. Il n’était pas en âge de mourir.
Un jour, Julien demande à son père ce qu’il souhaite pour la fête des Pères :
Mon mari lui répond : «Que tu arrêtes de faire de la moto »
Et Julien rétorque : « Papa, tu me demandes la seule chose que je ne peux te donner »………
Tout petit, il était attiré par les deux roues : lorsqu’il regardait les catalogues de jouets au moment de Noël, il me disait souvent : « Quand je serai grand, j’aurai une moto ».
Nous avons tenu bon jusqu’à ses 18 ans. Quelque temps après, avec ses économies, il s’est acheté une moto cross et il a même souscrit seul une assurance. Il avait tout prévu ; à compter de ce moment, nous avons su ce que veut dire le mot « inquiétude » : chaque retard de Julien lorsqu’il partait avec, nous mettait en panique mais nous n’avions pas d’autre choix que de le laisser faire. Notre fils avait sa majorité comme il disait ; Il pouvait faire ce qu’il voulait ! Si nous avons été impuissants pour la moto, Julien a dû cependant respecter les règles de la maison, bon gré et mal gré jusqu’à son envol.
Avons-nous trop pensé au malheur qui a fini par arriver ?
Julien savait combien nous avions peur pour lui.
Tous les dimanches soirs, nous avions notre rendez-vous téléphonique et quand le téléphone sonnait quel soulagement ! Tout allait bien.
Maman, m’a t’il dit un jour, n’aies pas peur. Envoie-moi des ondes positives.
Cette phrase me fait beaucoup réfléchir désormais car ne lui aurions-nous pas envoyé des ondes négatives à force d’avoir peur ?
Les paroles que l’on regrette :
Le jour de la fête des Mères 2007, je me sentais très déprimée : je n’avais aucun enfant auprès de moi pour cette fête magnifique. Je pleurais.
Le premier m’ayant téléphoné pour me la souhaiter, c’est Julien. J’ai éclaté. Je lui ai fait des reproches : « je ne voyais pas assez mes enfants et aucun n’avait la délicatesse de garder cette journée pour moi ». Il s’est fâché et nous avons raccroché. Je savais que j’aurais dû lui dire autrement, sans emportement ; alors je l’ai rappelé pour m’excuser. Il avait de la peine. Je m’en veux encore et pour toujours.
Avec Julien ce n’était qu’une petite chamaillerie parmi tant d’autres avec sa maman, mais je ne sais pas pourquoi, lorsque j’ai fait ce reproche, j’ai senti que je le regretterais un jour….. parce que, à cet instant, j’ai eu peur d’avoir coupé le lien maternel avec mon fils qui me rendrait malheureuse pour le restant de mes jours. Je me disais aussi « Et s’il arrivait un malheur et que je n’ai pu obtenir son pardon ? »
Pourquoi plus ce jour-là que d’autres car c’était toujours très épidermique entre nous deux ? Et puis mon fils m’aimait trop et connaissait mon impulsivité. Nous étions les mêmes l’un et l’autre sur ce point bien précis et nos « affrontements » n’avaient jamais aucune conséquence.
Je pense que j’ai eu inconsciemment un ressenti qui hélas s’est expliqué deux mois et demi plus tard. Je ne peux revenir en arrière. Cette impuissance me mine.
J’ai appris bien trop tard que notre fils avait une vie bien remplie que nous ne soupçonnions pas ; je n’aurais jamais dû lui faire ce reproche ; il était un homme pressé : il travaillait beaucoup et croquait la vie à 200 à l’heure. Il était partout. Il excellait dans de nombreuses disciplines sportives ; rien ne lui faisait peur.
Julien était loin de nous et n’avait pas le temps de nous raconter sa vie.
Il disait à qui voulait l’entendre qu’il ne vivrait pas longtemps car il lui arrivait toujours une multitude de mauvaises choses : des incidents sérieux voire graves essentiellement avec tout ce qui était « avec des roues « : les voitures, les motos et même les vélos. Il n’était pour ainsi dire jamais responsable mais il promenait sa malchance avec lui. Cela le faisait pleurer quelquefois.
Il y a eu de nombreux témoignages à l’église qui n’a pu accueillir toutes les personnes venues lui rendre hommage, faute de place ; un grand nombre est resté à l’extérieur. La bénédiction de son corps a duré plus d’une heure.
Notre fils était sur le canton de CHARNY en Puisaye depuis cinq ans et avait réussi à se faire une « aura » auprès de toutes les générations.
Arrivé dans cette région trois jours après avoir obtenu son diplôme de kinésithérapeute pour un remplacement d’un ou deux mois, notre fils n’est jamais reparti. Pourtant, c’était un citadin dans l’âme.
Il appréciait la gentillesse de ses patients qui l’adoraient ; ces personnes vraies, sincères, l’attendaient souvent impatiemment lorsqu’il se déplaçait à domicile, car il était parfois la seule visite de la semaine.
Il aimait cette vie qu’il s’était construite, remplie de contacts qui lui apportaient énormément.
Il avait également noué des amitiés sincères qui ne faiblissent pas ; les visites sur sa tombe sont nombreuses.
Il était coatch d’une équipe féminine de basket ; « ses filles », comme il disait, l’adoraient ; leur effondrement le jour de ses obsèques nous avaient inquiété ; alors pour essayer de les soutenir, quelques jours après, nous les avons réunies et offert la coupe que Julien détenait en qualité d’entraîneur des « cadettes », qu’elles avaient gagnée deux mois auparavant. Nous avons beaucoup échangé avec elles ce soir-là et même ri des anecdotes qu’elles nous racontaient, car Julien était drôle, gai, un tourbillon de vie et je pense qu’il donnait, par sa façon d’être, de grands moments de bonheur. Ces jeunes filles font partie désormais de notre univers et leur tendresse nous comble.
Que de larmes ce 24 août 2007.
Les mots que l’on n’ose dire :
Mon mari regrette de ne pas lui avoir assez dit qu’il l’aimait. Le connaissant, je sais que c’est par pudeur. Pourquoi cette carapace ? Parce que c’est ainsi que les hommes fonctionnent. Pourtant un jour ou l’autre, les émotions transpirent et aujourd’hui elles sont bien là : il caresse son visage sur la stèle, il l’embrasse et souvent il pleure et cela chaque jour et il lui dit aussi « je t’aime mon fils ».
Combien de fois ai-je entendu : « Regarde comme il est beau ; j’ai envie de le prendre dans mes bras mais j’ai peur qu’il me trouve ridicule ».
Pourtant, avant de refermer le cercueil, il a soulevé le corps de notre enfant raidi par la mort, en pleurant pour l’embrasser une dernière fois. Sa douleur était extrême……
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NOTRE COMBAT
Nous avons bien évidemment cherché à connaître les circonstances de l’accident tant auprès de son amie qui était sur sa propre moto juste derrière lui, qu’auprès des autres motards en promenade avec lui et qui ont assisté à ses obsèques. Nous n’avions jamais la même version : il était le premier, puis le deuxième et peut être le quatrième, tout était flou et personne n’arrivait vraiment à nous dire ce qui s’était passé très exactement. La seule phrase que l’on nous répétait était : « il n’était pas à sa place ».
Notre seule certitude est que Julien est mort et qu’il a fini sa vie encastré sous une voiture conduite par des anglais qui venaient en sens inverse ; nous avons supposé beaucoup de choses mais avons cependant attendu de prendre connaissance du rapport de gendarmerie, sur lequel nous savions d’ores et déjà quelle serait la conclusion, compte tenu des propos tenus par un gendarme du petit village de Côte-d’Or :
« Mais pourquoi voulez-vous savoir ? Votre fils est mort et cela ne le fera pas revenir. »
Et également :
« Je sais déjà quelles seront mes conclusions ; les motards sont tous les mêmes, ils se croient tout permis. En tout cas votre fils n’avait pas d’alcool dans le sang. » Triste consolation !
Monsieur C., gendarme, a tenu ces tristes propos, dénués de tact, de tout bon sens et du minimum de compassion qui doit être d’usage dans de tels cas. Nous savons que c’est leur quotidien mais quand même. Nous en voulons terriblement, mon mari et moi, à cette personne qui n’a pas su rester logique et à sa place.
Mais l’épisode ne s’en tient pas là :
Notre fils a été «un peu » dépouillé sur la route !
Lorsque le corps de notre fils nous a été présenté, nous avons été choqués par sa tenue vestimentaire : juste son pantalon de cuir, un tee-shirt blanc qui ne lui appartenait pas. Il n’avait plus de chaussures, le pied droit enveloppé dans un plastique bleu et sa montre avait disparu. Où était sa tenue de motard ?
Nous avons eu l’explication en ce qui concerne le casque qui a été gardé pour les besoins de l’enquête, le blouson qui ne nous a pas été redonné celui-ci étant trop abîmé et trop tâché. Mais ses chaussures, ses gants, et sa montre, où étaient-ils ? Les gendarmes, bien sûr, l’ignoraient.
Nous avons donc fait notre propre enquête. Personnellement je n’ai pas lâché car je me doutais que seules des personnes faisant partie de l’accident avaient pu en prendre possession. Qui ? Peu importe. Toujours est-il que mon insistance a été gratifiante car nous avons récupéré sa montre peu de temps après, et ses bottes de moto après plusieurs mois, que je suppose ne pas être les siennes car compte tenu de l’état du pied droit de Julien, la chaussure correspondante aurait dû avoir des traces et celle-ci est intacte, à l’intérieur comme à l’extérieur, à moins qu’elle se soit détachée au moment du choc. Au bénéfice du doute…..
Quant aux gants, une personne en voiture serait venue les récupérer à la gendarmerie deux ou trois jours après l’accident d’après la gendarmerie ; ils nous ont été redonnés en même temps que les bottes…..
Il n’y a eu aucun respect du corps de mon fils. Julien ne le mérite pas. Il a toujours été droit, honnête et généreux. Il donnait beaucoup et certains en profitaient ; Julien n’avait que 26 ans ; il gagnait bien sa vie mais n’était pas riche.
Pourquoi s’approprier ses effets ? Peut être pour avoir un souvenir de lui……….. ?
Trois mois après la mort de Julien, le rapport de l’accident nous a été présenté dans les locaux de la Gendarmerie proche de notre domicile.
Nous avons été reçus dans une pièce contenant deux bureaux ; c’était l’heure du café : beaucoup de collègues dans cette pièce blaguaient ; nous nous sommes assis en face de celui de notre interlocuteur ; un grand nombre de dossiers empilés les uns sur les autres prenaient presque toute la surface du bureau. Le rapport nous est remis ; nous le consultons de guingois sur les piles et le bureau. Nous sommes souvent interrompus par des appels téléphoniques à l’égard de notre gendarme qui doit consulter les dossiers sur lesquels nous sommes appuyés ! Aucune décence de la part de cette personne et de celles qui étaient dans la pièce qui avaient en face d’eux des parents effondrés……
Nous avons réussi cependant à prendre connaissance de tous les témoignages qui étaient joints ainsi que le croquis de la position du corps de notre fils et des véhicules après l’accident. Les détails nous déchirent le cœur ; c’est inhumain mais il le faut ; nous avons lu jusqu’au bout, sans oublier un mot ni une ligne. Notre souffrance était extrême, mais nous avons pu nous apercevoir que certains témoignages ne correspondaient pas avec le croquis de l’accident et les photos du journal régional. Nous avons refusé le rapport établi par la brigade de gendarmerie qui s’était déplacée sur les lieux, le 19 août 2007.
Lorsqu’il nous a été adressé, nous l’avons lu maintes et maintes fois et avons trouvé de nombreuses contradictions dans les dépositions.
Au vu de tout ceci, nous avons décidé de prendre un avocat. Ce dernier, compte tenu du rapport de Gendarmerie conforté par le Procureur de la République, nous a demandé de contacter un expert en accidentologie pour donner « des armes » à la procédure car il avait été conclu que Julien était en tort.
Il y a très peu d’experts dans ce domaine. J’ai contacté celui qui m’avait été proposé. Je lui ai expliqué notre histoire. Sa réponse a été négative : il ne pouvait s’occuper de notre affaire compte tenu de son emploi du temps chargé. A ce moment j’ai hurlé de tout mon être en lui disant :
« Mais Monsieur, si je comprends bien, nous ne pourrons jamais connaître la vérité parce que vous êtes débordé. Mon fils a peut être été tué et nous devrons vivre tout le reste de notre vie avec cette interrogation ? »
Je pense que j’ai dû être pathétique car à cet instant cette personne m’a dit :
«Je ne peux prendre votre affaire car trop de temps s’écoulerait avant que je sois disponible, mais si vous voulez bien, je contacte un confrère et je vous rappelle d’ici une heure ».
Ce monsieur a tenu sa promesse. Un autre expert s’est occupé de notre dossier et a établi un rapport faisant apparaître de nombreux doutes et zones d’ombre. Le Procureur a confirmé son premier verdict malgré ce rapport qui change tout. Notre avocat a saisi le Doyen des Juges qui a accepté de reprendre le dossier qui avait été purement et simplement classé. Nous nous sommes portés Partie civile et avons déposé plainte pour homicide involontaire à l’encontre d’un autre motard qui serait à l’origine de l’accident.
Aujourd’hui, nous savons que ce motard a été entendu par un juge d’Instruction nommé par le Tribunal et que ce juge a commis une autre expertise en accidentologie.
Nous n’attendons de cette procédure que la vérité et l’accepterons quelle qu’elle soit mais nous ne voulons surtout pas être fatalistes en ne cherchant pas à comprendre. Il est vrai que les morts ne peuvent plus parler mais à notre époque, les moyens scientifiques et techniques sont nombreux pour apporter des preuves et c’est tant mieux.
Nous combattrons tant qu’il y aura une petite lueur d’espoir à l’horizon qui permettra de réhabiliter notre enfant.
Dans la mort de notre fils, je pense qu’il y a un déni très important ; Je suis certaine que des personnes savent mais ne veulent rien dire compte tenu des conséquences qui peuvent en découler, surtout pour le garçon qui pourrait être à l’origine de l’accident. S’il est responsable, plus il se taira, plus cela peut être grave pour lui. Comment fait-il, s’il en est ainsi, pour vivre avec sa conscience endormie ? Pas un mot, pas une lettre, pas un coup de fil, pas une visite sur la tombe de Julien, rien. Tout le monde peut faire des erreurs, celle-ci étant très grave mais très certainement involontaire. Pourquoi n’assume t’il pas ?
L’esprit de vengeance : je ne veux pas en avoir car je pense qu’elle dessert plus qu’elle ne sert.
Notre enfer : c’est l’attente ; toujours attendre : attendre que la Gendarmerie veuille bien déposer son rapport, attendre que le Procureur donne son avis, attendre que le rapport nous soit adressé, attendre que notre plainte soit prise en considération, attendre qu’un Juge d’Instruction soit nommé. Tout cela a pris deux ans et demi et ce n’est que le début.
Pourquoi être pressés ? En fait, c’est vrai ; cela changera quoi ? C’est ce que nous entendons souvent.
La vérité pour nous est importante. Il y a des doutes sur les circonstances de la mort de notre fils et nous devons savoir. Qu’il y a t’il d’anormal à cela ?
Nous demandons simplement que les responsabilités soient clairement établies parce qu’il y a des éléments concrets qui permettent de les rechercher.
Les procédures sont tellement longues que nous nous demandons comment la Justice va pouvoir être objective, face à un recul de plusieurs années ; comment les témoins vont pouvoir se rappeler ?
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